25 octobre 1836. Le ciel est couvert en région parisienne, mais, par chance, il ne pleut pas. Sur la place de la Concorde, près de deux cent mille personnes jouent des coudes pour ne rien rater du spectacle. Jusque sur les terrasses des Tuileries et l'avenue des Champs-Élysées, la foule se presse. À 11h30, juché sur un piédestal, l'ingénieur Apollinaire Lebas (1797 - 1873) donne enfin l'ordre tant attendu, terme d’un périple de 9000 kilomètres et qui aura duré pas moins de 7 ans !
Au son du clairon, 350 artilleurs amorcent une marche circulaire et cadencée autour des 10 cabestans de l'appareil de levage. Les centaines de musiciens massés près du ministère de la Marine, à l'angle de la rue Saint-Florentin, cessent subitement d'interpréter Les Mystères d'Isis de Mozart et rangent leurs archets. Chacun retient son souffle et se hausse sur la pointe des pieds pour ne pas perdre miette de ce que mémoire d’homme n’a plus vu depuis plus de 3000 ans. Dans un silence religieux, tout doucement apparaît la pointe du monolithe. Puis, le monument se redresse fièrement sous les yeux ébahis du Tout-Paris.
Tel le capitaine d'un navire, l'ingénieur Lebas reste volontairement sous l’obélisque. Il ne doit pas survivre en cas de rupture de l'appareil et ce, pour éviter le déshonneur. Vers midi, le succès semblant assuré,
le roi Louis-Philippe 1er, son fils aîné le prince Ferdinand d’Orléans et les personnalités conviées apparaissent au balcon de l'hôtel de la Marine. Tandis que l'opération s'achève, le bois craque, les boulons grincent, les câbles se tendent à l'extrême mais aux alentours de 14 h 30, l'obélisque reposant entièrement sur son piédestal et le drapeau tricolore est fièrement hissé à son sommet. De son balcon, Louis-Philippe donne le signal tant attendu des applaudissements. L’ovation retentit pour saluer, en ce XIXe siècle si industrieux, l’exploit technique et scientifique qui permit de coucher, transporter et d’ériger à nouveau un monument de près de 230 tonnes de granit rose de Louxor jusqu'à Paris.
Une aventure maritime & technique pour un acte politique
Comment en est-on arrivé là ? Tout commença en 1829, lorsque le vice-roi d'Égypte Méhémet-Ali propose de faire don à la France de 2 obélisques d'Alexandrie. L'égyptologue Jean-François Champollion exhorte le gouvernement français à porter son dévolu sur ceux du temple de Louxor, deux monuments édifiés sous le règne de Ramsès II “le Grand”, au XIIIe siècle av JC. Mieux conservés & plus prestigieux, pour Champollion, qui ne veut pas se faire doubler par les anglais, ils sont “d’un travail exquis”. Cependant, situés à 700 kilomètres en amont de l'embouchure du Nil ! Le gouvernement égyptien finit par donner son feu vert & dans les mois qui suivent, un navire de transport étonnant, le Luxor, est construit sur mesure à Toulon. En avril 1831, c’est le départ tant attendu. Quatorze mois plus tard, l’équipage ayant fait face à une épidémie de choléra, surmonté les obstacles techniques de la dépose de l’obélisque, lequel présentait une fissure de 8 mètres à sa base, descendu le Nil en crue, ayant réalisé cinq escales à Rhodes, Corfou, Toulon, Gibraltar & La Corogne, arrive enfin à Cherbourg avec le précieux chargement. Après le Havre et Rouen, c’est enfin le remorquage par des chevaux de halage le long de la Seine. L’avant veille de Noël 1833, l’obélisque est enfin à Paris !
Dépose de l'obélisque en 1831
Après un long débat national sur le lieu où il convient de placer le monument - la Monarchie de Juillet voit en effet l’essor considérable de la presse et de son rôle dans la formation de l’opinion publique - Louis-Philippe 1er tranche pour la place de la Concorde. Là, sur l’ancienne place de la Révolution où furent décapités son cousin Louis XVI, Marie-Antoinette, son père Philippe Egalité mais aussi Danton, Desmoulins, Saint-Just ou Robespierre, le roi veut dépasser la symbolique d’un lieu qui divise et pour lequel la querelle des mémoires fait rage entre royalistes ultra & républicains pour rassembler les français. L’érection de l’obélisque dans l’axe des Champs Elysées et de l’Arc de Triomphe de la place de l’Etoile récemment achevé (juillet 1836), dessine ce qui deviendra plus tard, la “perspective parfaite”.
Epilogue
Devant les difficultés rencontrées et le coût financier (1 million de francs de l’époque) et humain, la France n’ira jamais récupérer le deuxième obélisque de Louxor, officiellement « restitué » à l’Egypte par le Président François Mitterrand en 1981.
À voir
Au Domaine de Randan est exposé
une caricature de l’époque, en forme de statue réalisé par l’artiste Dantan, de l’ingénieur Lebas, passé à la postérité pour avoir réussi à ériger l’obélisque.
Caracicature de Lebas par Dantan,
exposée au Domaine de Randan
En l’honneur de son frère, le Roi Louis-Philippe, sa soeur Madame Adélaïde d’Orléans fit élever dans le parc de Randan un obélisque dans la perspective du Château.
Obélisque du Domaine Royal de Randan